Répertoire Locomoteur pour les personnes cérébro-lésées et médullaires incomplets
Pascal Picq[1] rappelle que ce sont les
grands singes qui ont le plus grand répertoire locomoteur. Ils peuvent adopter
spontanément les positions « couché sur le dos, sur le ventre, sur le côté
en appui sur un coude, 4 pattes » etc. Parmi les grands singes, l’humain
est celui qui a le répertoire locomoteur le plus étendu puisqu’il rajoute, la
course, l’équilibre unipodal etc.
A la naissance, l’enfant développe ses capacités balistiques couché sur le dos, il lance bras et jambes à des fréquences considérables : plus de dix mille mouvements de flexion extension de bras et jambes par jour. Puis à plat ventre il va peu à peu s’appuyer sur les avant-bras et soulever sa tête. Puis il va continuer à développer ses capacités d’appuis, élevant peu à peu son centre de gravité. « Donnez-moi un point fixe et je soulève la terre » a dit Archimède. Au niveau segmentaire les synergies musculaires ont la simplicité d’une grue de chantier. Mais au niveau global, se met en place une circuiterie neuronale complexe regroupée en programmes utilisant 570 muscles pour mobiliser 206 leviers osseux afin de se retourner sur le ventre, se mettre à 4 pattes, debout etc. Si l’on déplace le centre de gravité sur le polygone, il faut modifier la tension des haubans qui maintenaient l’équilibre. Si on lève un appui d’un polygone bipède, il faut que l’autre appui maintienne la charge en équilibre sur ce nouveau polygone. Ils ont besoin d’une reprogrammation de leurs propres leviers qui renforcera les synergies musculaires utilisées.
L’auto-organisation de la mécanique corporelle
Une grande partie
de la locomotion s’est construite automatiquement avant deux ans et demi, âge
auquel l’enfant accède au contrôle des sphincters et à l’exécution de la
consigne verbale. Il va continuer à utiliser l’apprentissage implicite, mais peu
à peu, les professionnels du corps vont abandonner l’apprentissage moteur
implicite pour lui préférer la voie volontaire. Or, la structuration des circuits locomoteurs a été confiée à
l’auto-organisation neuronale. « Elle s'exprime dans une auto-organisation
non-programmée génétiquement et s'alimente dans le dialogue ininterrompu
qu'un organisme entretient avec son environnement par le truchement de l'acte
moteur, instrument de conquête, de perfectionnement adaptatif et de progrès
évolutif »[3] . Cette définition
est complétée par Sultana et Mesure : « Le sujet apprend par essai erreur.
Il n’a besoin d'aucun pédagogue pour améliorer sa motricité. C’est la quantité de pratique qui améliore
la qualité gestuelle par essais erreurs : diminution du coût énergétique et de
la demande attentionnelle, précision, vitesse, taux de réussite de l’action[4] » On peut
donc dire que l’auto-organisation est un apprentissage procédural global
implicite avec attention externe et exogène[5]. Les
patients de traumatologie conservent un schéma corporel intègre, auquel ils
pourront se référer un temps pour retrouver les sensations antérieures. Les patients
cérébro-lésés ne peuvent se référer à un schéma corporel intègre. Celui-ci a
été fortement remanié par la lésion. En revanche, les IMC ne se confrontent pas
à un ancien schéma corporel. Ils le construisent avec les moyens du bord en
fonction des jeux proposés. Or il y a très peu de référence aux jeux de « vertige »[6] . C’est
pourquoi, nous avons intégré à chaque atelier des exercices de bascules et tangage
et roulis qui restituent la vitesse de la chute éduquant ainsi leur système labyrinthique.
Kinésithérapeutes, Ergothérapeutes, Psychomotriciens,
Professeurs d’ Activités Physiques Adaptées et Médecins Physiques de
Rééducation ne sont pas les experts du
mouvement du patient cérébrolésé qu’ils examinent. Lui-même n’est pas expert de sa motricité
dont les entrelacs neuronaux échappent en grande partie à sa conscience. En
revanche, placé en sécurité, ce patient peut développer automatiquement des
stratégies originales pour atteindre son but.
Répertoire Postural
Brunstrom, Bobath,
Kabat, Lemetayer (NEM) se sont appuyés sur le développement locomoteur de l’enfant
pour élaborer un répertoire moteur utile pour la rééducation en neurologie.
Reprenant ces positions, M. Lane D. Russel
ont élaboré le Gross Motor 88, l’échelle
de référence pour les IMC (PC) 1989. Chaque
item est évalué sur 4 : 0, impossible, 1 amorce, 2 incomplet, 3 complet. Mais
une échelle aussi complète soit-elle ne donne pas une stratégie de rééducation.
Il n’y a que 88 items. Or chaque patient élabore sa propre stratégie pour
passer d’une position à l’autre. C’est pourquoi j’ai pris l’habitude
de consigner les stratégies mises en place par les patients, c ‘est le test critérié. « Donner
une information sur la performance d’un patient en relation à un ensemble d’objectifs
à atteindre sans s’occuper des résultats obtenus par d’autres sujets. Le test critérié permet de
diagnostiquer la maitrise d’un comportement particulier chez un apprenant ».[7]. Ainsi
s’est constitué peu à peu un répertoire de capacités à changer de positions. Et
si la personne, me montre une façon ne figurant pas dans le répertoire, je la
rajoute . (ça pourra peut-être servir à d’autres !) Entre les capacités
réussies (X)
et les capacités encore impossibles ( 0), il y
a un ensemble de capacités amorcées
(A).
Ce sont elles qu’il faut répertorier pour tenter de les améliorer périodiquement.
Sur une cohorte de 354 patients neuro, il a été montré que périmètre et vitesse
de marche sont fortement corrélés au nombre de positions acquises (0,88 p<
0,0001)[8].
Ce répertoire n’est pas un
bilan fastidieux que le kiné doit remplir. C’est un aide-mémoire didactique pour thérapeute du mouvement. En
effet la chronicité fait que l’on répète un peu toujours les mêmes exercices
alors que d’autres habiletés ne sont jamais exploitées. En séance, avec le répertoire en main, on choisit
un atelier : aujourd’hui dans telle position, on va voir ce que vous
maitrisez, ce que vous amorcez et qu’est-ce qu’on pourrait améliorer (ou
regagner si certaines capacités ont été perdues) ?
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Ateliers détaillant les Stratégies d’Acquisitions Progressives
Page 2 : Atelier 1 Assis
au plan Bobath. Atelier 2 Couché au sol.
p.3 Atelier 3 : Assis. Atelier
4 : Couché sur les Avant-bras. Atelier
5 : Petite Sirène.
p.4 Ateliers 6: Quatre Pattes. Atelier 7 : Appui Facial. Atelier
8 : Suspensions Tractions.
p. 5 Atelier 9 : A genou espalier. Atelier
10 : Debout Espalier.
p. 6 Atelier 11 : Coin d’espalier.
p. 7 Atelier 12 : A genou. Atelier 13 : Chevalier Servant. Atelier
14 : Accroupi.
p. 8 Atelier 15 : Debout pieds écartés.
p. 10 Atelier 16 : Debout sur polygone de marche. Atelier 17 : Monopodal.
P . 11 Atelier 18 : Marches courtes avec attention. Dans les marches courtes (jusqu’à 10 mètres)
le patient peut se focaliser sur un point du corps. Il ne le peut pas dans
les marches longues que l’on confie à l’auto-organisation neuronale.
Atelier 19 : Sauts impulsion.
Evaluation Mode d’emploi
L’évaluation (la mise en valeur) sert à la
connaissance du résultat par le patient et le kiné pour la motivation
réciproque.
0. Si la posture n’est pas réalisée seul.
0. Si la posture n’est pas réalisée seul.
A. Si elle est amorcée par le
patient. Ces deux points sont notés en rouge et ne rapportent pas de point. Les A.
révèlent au kiné les points gagnables.
X. Lorsque l’item est réalisé
par le patient seul. Au sein de l’atelier de positions, on fait ensuite le
total des croix vertes qui donne un score par position. Les X introduisent un challenge autour du score
par atelier. Si le patient n’a pas les moyens cognitifs de comprendre ce
challenge, ce score influencera au moins le kiné.
Si le patient ne
parvient pas à réaliser une tâche, est-il capable de réaliser ou d’amorcer
cette tâche avec un « Aménagement Matériel du Milieu"[9]? Le kinésithérapeute note quelle adaptation de
l’espace il a fait pour que le patient réalise la consigne. A chaque difficulté
acquise, en phase de perfectionnement il faudra créer un espace adapté (Volume
maitrisé) pour faciliter une répétition ludique.
Au sein de chaque position il y a une
progression des difficultés
1°) Tenir
la position
Comptez les secondes à haute voix.
2°)
Osciller
sur cette position d’Avant en Arrière et de Droite à Gauche, Tangage, Roulis,
Plier, Tendre
Les
habiletés posturales sur polygone fixe sont notées dans des cases à fond blanc.
|
3°) Descendre à droite puis remonter
de droite (idem à gauche en
avant en arrière)
Les descentes au
sol et remontées par le même chemin sont sur fond gris
|
4°) 1 tour à Droite, 1 tour à Gauche
5°) Se déplacer en Avant, Arrière,
droite et Gauche sur 1, 2 ou
10 mètres suivant les positions.
Les déplacements
et demi-tour sont sur fond jaune
|
Habileté morphocinétique
On essaie au maximum d’utiliser des consignes de cibles, afin que le patient se concentre sur le but et l’intensité et non sur le « comment je fais le mouvement ? ».
Mais il y a obstacle
à l’apprentissage car parfois le patient attend du kiné qu’il lui dise le
« bon » mouvement. Il ne fait pas de la rééducation pour compenser. Il
veut corriger voire empêcher cette compensation. C‘est pourquoi dans le répertoire
certains mouvements permettent l’attention interne (focalisée sur le corps). Il
est possible d’améliorer une posture par l’attention interne, parce que précisément
le patient est en sécurité et qu’il a le temps de corriger le placement. Ainsi,
le patient qui corrige sa posture satisfait son désir d’apprendre le mouvement
« correct ». (Initiation)
Ensuite, il va se frotter
à sa capacité ou à son incapacité de l’automatiser par la répétition.
(Perfectionnement) Et enfin il verra s’il devient Expert [10] dans ce mouvement quand il peut le faire
en discutant).
Fauteuil roulant à main, à pied, double main courante, électrique, Aides à la marche : flèche, rollator 2 roues, 4 roues, déambulateur, canne anglaise, canne canadienne, canne simple, canne Moïse. Draisienne, trottinette à 3 roues, tricycles à mains, à pieds, trottinette, vélo.
(Perfectionnement) Et enfin il verra s’il devient Expert [10] dans ce mouvement quand il peut le faire
en discutant).
Répertoire d’Habiletés Locomotrices Mécaniques
Conclusion
On objecte que ce répertoire locomoteur est trop long. Il faut en effet plus de cinq heures pour le remplir complètement. Les échelles donnent les incapacités les plus basses, mais ne révèlent pas la stratégie pour améliorer les capacités les plus hautes. Les échelles donnent les paliers. Avec le répertoire posturo-segmentaire, nous recherchons les marches entre deux paliers.
Qu’est-ce que cinq heures dans une vie ? Effectivement faire le bilan des incapacités est plus rapide, mais que fait-on avec des résultats négatifs ? On n’apprend qu’à partir du positif que l’on améliore peu à peu et qui peut déboucher parfois sur des capacités nouvelles. Quand on dit « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », on oublie que l’apprenti frappe des milliers de fois à côté avant d’atteindre sa cible. C’’est donc en forgeant mal que l’apprenti améliore peu à peu son geste. Il en est de même pour les instruments où l’on fabrique les notes. C’est en jouant faux que l’apprenti violoniste finit par jouer juste. Si on l’empêche de jouer faux, il ne jouera jamais juste. Or nombre de kinés et de MPR veulent corriger le mouvement compensé (par des injections de botox entre autres). Le débat ne porte pas sur corriger ou favoriser le mouvement compensé, le débat porte sur l’amélioration de la fonction. Il n’est pas intéressant d’améliorer la façon de marcher sur les 10 mètres de la piste d’Analyse Quantifiée de la marche en attention focalisée. Il est fondamental en revanche d’améliorer le périmètre et la vitesse de marche de la personne. (Voir plus haut « habiletés morphocinétiques »)
L’enfant et l’adulte IMC n’ont pas d’autres moyens de bouger que ce qu’ils nous montrent. Il faut donc encourager leur façon de bouger. Ensuite il faut s’employer à corriger la posture pour éviter que les rétractions induites par les compensations ne se fixent.
Oui, ce programme est long à établir et il a vocation à s’allonger encore. Quand un patient utilise une nouvelle stratégie qui n’y figure pas, il faut la rajouter, car elle pourra peut-être servir à d’autres.
Oui c’est complexe ! Déjà que la rééducation de l’entorse de cheville n’est pas toujours simple ! Chez les IMC quadriparétiques, on se retrouve avec une rééducation portant sur les deux pieds, les deux genoux et hanches, les deux mains, les deux coudes et épaules plus le tronc.
Il faut donc faire l’effort de découvrir une à une ses stratégies motrices pour voir si l’on peut en améliorer une et empêcher qu’une autre disparaisse faute d’entrainement.
C’est pour cela que ce programme se transforme en bilan par le score des capacités réussies, qui nous tient informé de la stagnation, de la progression et de la régression par atelier de positions.
Il ne s’agit pas de faire l’impossible, mais « simplement » de l’’aider à faire 100% du possible et ça c’est complexe.
__________________________________
[1] PICQ, P. Premiers Hommes Flammarion, 2016
[3]. Paillard, J. La machine organisée et la machine organisante.. Revue de l’éducation physique belge 17 (1977): 19-48.
[4] Sultana Mesure.(2017) Connaissances indispensables pour une rééducation neurologique efficace. Kinésithér Scient 2017,0590:19-25
[5] global ≠ analytique ; implicite≠ explicite ; attention externe (sur la cible) ; exogène : passive, objective, automatique, dirigée par les évènements (Attention Motor skill learning . G Wulf)
[6] CAILLOIS, Roger. Les jeux et les hommes: le masque et le vertige. Gallimard, 1958.
[7] Gatto, Garnier, Viel. Education du patient en kinésithérapie. 2007 Sauramps p. 107
[8] Laurent F. Corrélation entre capacités segmentaires, posturales, et capacités de marche en rééducation neurologique centrale. Kinésithérapie scientifique. 2010(509):39-48.
[9] FAMOSE, Jean-Pierre, HÉBRARD, Alain, et SIMONET, Pierre. Contribution de l'" aménagement matériel du milieu" à la pédagogie des gestes sportifs individuels. 1979.
[10] MESURE, S.. SULTANA, R. Ataxie et syndromes cérébelleux; approches fonctionnelles, ludiques et sportives. Masson, 2008
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